Quand les pratiques apicoles deviennent contre-évolutives

Alors de nombreux de facteurs participant à l’effondrement des populations d’abeilles ont été identifiés, peu d’études se sont intéressées à l’impact des pratiques apicoles. Deux sommités mondiales en recherche apicole, le Dr Neumann (Institute of Bee Health – président du COLOSS) et le Dr Blacquière (Wageningen UR), ont co-écrit un article de perspective1 mettant en lumière, sous le prisme de l’évolution, le rôle prépondérant des pratiques apicoles dans la préservation des abeilles domestiques.

Alors que le processus évolutif2 permet l’émergence de populations adaptées résistantes3, les pratiques apicoles standards interfèrent fortement. Les auteurs notent qu’en Afrique, la majorité des colonies ne sont pas gérées, les apiculteurs ne procèdent pas à de la sélection de lignées. Ces colonies africaines possèdent des traits peu désirables pour un apiculteur (agressives, essaimeuses) mais leur santé est en revanche supérieure à celle des abeilles européennes. Prenant en exemple la lutte contre Varroa, cet article se penche sur plusieurs pratiques qui empêchent l’émergence de populations résistantes :

  • Lutte contre l’essaimage et destruction du couvain mâle : le succès adaptatif d’une colonie (c.-à-d. sa capacité à produire des descendants fertiles) se mesure à sa production d’essaims vivants et au nombre de mâles s’étant reproduits. Le choix des apicultures de favoriser des colonies peu essaimeuses ou de « castrer » la colonie se révèle donc contre-évolutif, empêchant les individus adaptés de disséminer leurs gènes au sein de la population.
  • Élevage de reines : les ouvrières sont capables de distinguer des sous-familles « royales » au sein des larves alors que le choix de l’apiculteur se porte exclusivement sur des critères d’âge, produisant ainsi des reines de qualité « inférieure » car non-programmées à en devenir.
  • Contrôle de la fécondation (insémination artificielle, rucher avec des colonies sœurs) : limite le potentiel polyandre de la reine, restreint la diversité génétique au sein de la population4 et par conséquent son potentiel adaptatif.
  • Remplacement des reines : les voies de transmission d’un parasite peuvent être verticale (mère vers l’enfant) ou horizontale (d’un congénère à un autre). La transmission verticale favorise l’émergence d’une interaction hôte-parasite stable, abaissant la virulence du pathogène. Le remplacement d’une reine et la production d’une nouvelle génération génétiquement différente disrupte ce processus. La transmission du parasite devient alors horizontale, augmentant ainsi sa virulence.

 

En orange, les pratiques apicoles interférant avec le processus de sélection naturelle  (de gauche à droite: contrôle de parasites, gestion de la colonie, contrôle de l'essaimage, élevage de reines, contrôle de la fécondation, changement annuel de la reine, migration des rucher, sélection de lignée, import de reines) et en vert les apports possibles d'une approche plus naturelle (de gauche à droite: co-évolution hôte-parasite, sélection de généralistes, transmission verticale vers transmission horizontale, quels compromis faire (trade-off scenarios), adaptation locale) 

 

En conclusion, leurs auteurs appellent à la prise de conscience de la communauté apicole pour son rôle central dans la préservation de la santé des abeilles et à ajuster ses pratiques en tirant profit des processus de sélection naturelle et non en les limitant.

 

Neumann P. & Blacquière T. The Darwin cure for apiculture? Natural selection and managed honeybee health. Evol Appl. 2017. 10(3). https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC5322407/pdf/EVA-10-226.pdf

 

1Qu’est-ce qu’un article de perspective ? 
2Petite vulgarisation sur le processus évolutif 
3Exemple d’une population adaptée naturellement à Varroa
4Importance de la polyandrie chez la reine

 

Merci Judith pour cet éclairage.

"Food for thought", de la matière à réflexion sur la manière dont nous conduisons et élevons nos essaims.

Sans jouer les apprentis sorciers en allant aux extrêmes (le côté "tout artificiel", le côté "tout" naturel"), des pistes de réflexion pour les groupes thématiques "élevage de reines" et "santé de l'abeille".

Dominique

PS: Judith, j'ai traduit "trade-off" par "compromis" dans ton texte. Il n'y a pas de solution idéale et il faut faire des choix; privilégier les aspects jugés les plus importants et accepter les inconvénients des autres non retenus. L'important est la démarche consciente et argumentée qui conduit au (meilleur) compromis.

Merci pour la traduction de trade-off. C’est un concept de biologie évolutive qui se résume par le fait que si un caractère confère un avantage sélectif, un autre caractère va en pâtir conférant un désavantage sélectif (pressions sélectives antagonistes). Un des meilleurs exemples est celui du « dilemme obstétrical ». Chez l’espèce humaine, au cours de l’évolution la taille de notre cerveau a augmenté et nous sommes devenus bipèdes, libérant ainsi les membres supérieurs pour d’autres fonctions (spécialisation de la main). Chez les hommes, le bassin est étroit pour optimiser la posture debout. En revanche chez les femmes, deux forces s’opposent sur le bassin, la station débout et la nécessité d’avoir un bassin large pour faciliter l’accouchement rendu difficile par notre important volume crânien. D'où une multitude d’adaptations : crâne malléable à la naissance, faible temps de gestation et développement du cerveau par rapport aux autres primates …

Merci de cet effort de résumé d’article en Français  .. depuis la  langue anglaise ( de plus scientifique) .je pense que des réflexions pourront s’engager dans le groupe « élevage de reine » à partir de tels articles , nonobstant le fait que notre apiculture est par nombre de ses aspects éloignée de l’apiculture africaine ...à suivre et joyeux noel 

Michel

Les bras me tombent quand je lis ce résumé !
Pour ces "chercheurs" se seraient donc les apiculteurs responsables de la disparition des abeilles à cause de leur pratique !

C'est faire abstraction de l'environnement, des pratiques agricoles avec l'agriculture intensive, la monoculture, l'utilisation massive d'intrants chimiques, la disparition des zones mellifères, l'urbanisation, etc...

C'est méconnaître l'apiculture africaine qui ne connaît varroa que depuis tout récemment et n'a pas les problèmes d'environnement européens.

C'est faire l'impasse sur la question de fécondation des reines par les mâles qui subissent eux aussi, fortement les pressions chimiques

C'est créer de la polémique inutile en prétendant que les apis élèvent des reines en faisant de l'insémination ou de l'élevage intensif car seuls une infime minorité des apiculteurs utilisent ces techniques alors généraliser en utilisant des termes aussi excessifs (castrer, contre-évolutif...) c'est totalement inacceptable.

C'est ignorer des années d'études scientifiques

On peut légitimement se demander qui finance ces "études", quels sont les objectifs recherchés si ce n'est de discréditer les apis.

Il me semble qu'un peu d'humilité et de modestie voire de "compétence et connaissance du monde apicole" soit de mise avant de proférer ce type de "vérités"

JC

Les auteurs de cette publication sont membres de l’association COLOSS (Prevention of honey bee COlony LOSSes), leurs axes de recherche ont jusqu’à présent porté sur 3 thèmes :

  • Pathogènes
  • Environnement
  • Reproduction et conservation

Leurs travaux reflètent la diversité de leurs approches avec des publication telles que :

Williams et al. Neonicotinoid pesticides severely affect honey bee queens. 2015. Sci Rep.

Dainat et al. Dead or alive: deformed wing virus and Varroa destructor reduce the life span of winter honeybees.2012. Appl Environ Microbiol. 

Dans cet article, à aucun moment les auteurs de cette étude n’imputent la disparition des abeilles aux seules pratiques apicoles et reconnaissent la problématique comme étant multifactorielle. La phrase introductive de ce billet est bien « Alors de nombreux de facteurs participant à l’effondrement des populations d’abeilles ont été identifiés, peu d’études se sont intéressées à l’impact des pratiques apicoles ». Leur article débute de cette manière « Recent major losses of managed honeybee, Apis mellifera, colonies at a global scale have resulted in a multitude of research efforts to identify the underlying mechanisms. Numerous factors acting singly and/or in combination have been identified, ranging from pathogens, over nutrition to pesticides. However, the role of apiculture in limiting natural selection has largely been ignored».

Le rôle des pratiques apicoles sur la santé des abeilles a déjà été documenté : densité de ruchers trop importants favorisant la transmission des pathogènes, ressources alimentaires de faible qualité (sirop), rupture du propolis lors des inspections, traitements inadaptés. L’angle novateur de ce papier se situe sur les effets sur le processus sélectif. Il ne s’agit pas d’un article de recherche mais de synthèse qui regroupe les données issues de 51 publications produites par différentes équipes de recherche (et par conséquent d’une multitude de sources de financement). A partir de ce faisceau d’évidence, ils tirent le constat que les pratiques apicoles interfèrent avec le processus sélectif menaçant la santé des abeilles sur le long terme. En conclusion, ils reconnaissent que « It is obvious that taking into account natural selection will not solve all of the various problems for apiculture, but instead we consider it to be a main issue in itself at the moment». Ils appellent de futurs efforts de recherche pour mieux cerner l’impact de pratiques apicoles et à ajuster les pratiques apicoles en fonction. Ils argumentent également que l'essor de l'apiculture de "loisir" est un belle opportunité pour développer de nouvelles pratiques durables, étant libérée des impératifs économiques.

Subjectivité dans les pratiques apicoles  et recherches scientifiques rencontrent de nombreux obstacles et résistances et ne cheminent ensemble que rarement . Car l’une et l’autre ont des origines et des intérêts et des buts  différents .ceci dit , il est faux de dire que , dans le cas de l’étude  relatée par Judith présente des contre vérités , car les biais de la méthode  sont clairement exposés , ils mettent en évidence ( en lumière dans ce cas ) des corrélations et non pas des vérités . Toute démarche scientifique digne d’une méthodologie rigoureuse , ne prêtant jamais être la vérité 

michel

Bonjour Michel

Effectivement tu fais bien de préciser, la démarche scientifique ne vise pas à produire des "vérités" car il faut toujours être prêt à accueillir une nouvelle information qui va modifier notre perception du sujet. Le vocabulaire utilisé doit donc traduire cette incertitude en utilisant des tournures telles que "faisceau d'observations concordantes", "effet statistiquement significatif" ou la "nécessité de conduire des expériences additionnelles". Même dans le cas de l'évolution, on parle bien de "théorie" alors que ce processus est observable de milles manières. Alors que les articles de recherche utilisent ce champs lexical, la communication destinée au grand public fait fit de ce genre de considération.